Cour eur. D.H., 2 mars 2021, R.R. et autres c. Hongrie, App. n° 36037/17 – Les cours européennes face à un Etat réticent à suivre leurs enseignements. Des fertilisations croisées au renforcement réciproque des légitimités judiciaires.

Par l’arrêt R.R. et autres c. Hongrie, la Cour EDH condamne, à nouveau, la Hongrie en raison du traitement matériel et procédural réservé aux demandeurs d’asile au sein du centre de transit de Röszke, à la frontière serbo-hongroise. La Cour confirme, ce faisant, sa jurisprudence antérieure, qu’elle décline aux spécificités de l’espèce, caractérisée par le profil particulièrement vulnérable de certains des requérants (enfants mineurs et femme enceinte souffrant de troubles psychologiques). Prononcé dans un contexte jurisprudentiel caractérisé par diverses condamnations antérieures émanant tant de la Cour EDH que de la CJUE, l’arrêt R.R. est révélateur de l’approche jurisprudentielle des deux Cours face à un Etat réticent à se conformer à leurs enseignements. Il illustre comment les interactions jurisprudentielles et références croisées peuvent contribuer à un renforcement réciproque de la légitimité des enseignements judiciaires.

Cour eur. D.H., 13 février 2020, N.D. et N.T. c. Espagne, req. nos 8675/15 et 8697/15 – Interdiction des expulsions collectives et mesures d’expulsions immédiates et systématiques : la Cour européenne des droits de l’homme entre équilibrisme et contorsions.

Par le très commenté arrêt N.D. et N.T. c. Espagne, la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme juge que l’interdiction des expulsions collectives ne bénéficie pas aux étrangers qui tentent de pénétrer irrégulièrement sur le territoire d’un Etat, sans faire usage des voies légales d’accès réellement et effectivement disponibles. L’affaire concerne des migrants qui ont tenté d’escalader, en groupe, la clôture séparant l’enclave espagnole de Melilla du Maroc, en espérant profiter de l’effet de masse pour échapper aux contrôles. Par son raisonnement, la Cour semble essentiellement limiter les enseignements pratiques de l’arrêt N.D. et N.T. à cette hypothèse particulière. Il n’en demeure pas moins, toutefois, que l’arrêt N.D. et N.T. pourrait révéler un changement d’attitude jurisprudentielle dans le chef de la Cour européenne des droits de l’homme, face aux difficultés que peuvent rencontrer certains Etats européens pour contrôler les frontières extérieures de l’Union. La Cour parait à la recherche d’une nouvelle voie pour gérer l’interface entre l’espace juridique de la Convention et le reste du monde, entre validation de certaines mesures d’expulsions immédiates et systématiques, respect du principe de non-refoulement et invitation à prévoir des voies légales d’accès.

C.C.T., 6 décembre 2018, A.H. c. Suisse, COM. No. 758/2016 – Le Comité contre la torture face aux accords entre États visant à prévenir les mouvements secondaires des réfugiés. L’exigence procédurale d’un examen individualisé, qui tienne compte des vulnérabilités particulières.

Par la décision A.H. c. Suisse, rendue relativement au renvoi d’un demandeur d’asile par la Suisse vers l’Italie, où il avait précédemment obtenu le statut de réfugié, le Comité contre la torture des Nations-Unies précise les garanties de respect des droits fondamentaux applicables au renvoi d’un demandeur d’asile vers un premier pays d’asile. Il le fait en exigeant un examen individualisé qui tienne compte des vulnérabilités propres au requérant, en l’occurrence les besoins médicaux spécifiques résultant des séquelles d’actes de torture. Il confirme l’approche jurisprudentielle adoptée par la précédente décision A.N. c. Suisse (2018), adoptée quelques mois plus tôt relativement au transfert vers l’Italie, en application du règlement Dublin, d’un demandeur d’asile érythréen souffrant de graves troubles psychologiques, dont il étend les enseignements à l’hypothèse du renvoi vers un premier pays d’asile. Ce faisant, le Comité apporte sa pierre à l’édifice balbutiant de la gouvernance mondiale en matière d’asile, suivant la direction esquissée par les Pactes mondiaux des Nations-Unies. Il contribue également, de manière indirecte, aux débats européens relatifs au principe de confiance mutuelle, tel qu’il s’applique dans le cadre de la mise en œuvre du droit européen de l’asile notamment.

C.J.U.E., 8 mai 2018, K.A. et autres, aff. C-82/16, EU:C:2018:308. Une interdiction d’entrée n’implique pas le rejet systématique de toute demande de regroupement familial ultérieure.

Les autorités nationales ne peuvent pas refuser systématiquement de prendre en considération une demande de regroupement familial, au motif que le regroupé fait l’objet d’une interdiction d’entrée encore en vigueur, sans examen préalable des circonstances propres à l’espèce. L’arrêt K.A. et autres concerne l’hypothèse particulière où le regroupement familial est sollicité avec un citoyen européen dit « statique », n’ayant pas exercé sa liberté de circulation, en application de l’article 20 T.F.U.E. tel qu’interprété par la jurisprudence Zambrano. Ses enseignements pourraient toutefois être étendus, nous semble-t-il, aux affaires où un étranger sollicite un titre de séjour sur le fondement du droit de l’Union.

C.C.E., chambres réunies, arrêts n° 200.933 du 8 mars 2018 et n° 200.976 et 200.977 du 9 mars 2018. Le règlement Dublin, une lex specialis qui prévaut sur la directive retour.

Par trois arrêts, rendus en chambres réunies, le Conseil du contentieux des étrangers juge que la décision de transférer un ressortissant de pays tiers se trouvant sans titre de séjour en Belgique vers un autre État membre, dans lequel il avait précédemment introduit une demande d’asile, relève du champ d’application du règlement Dublin et non de celui de la directive retour. Ce faisant, le Conseil accorde la priorité à l’effet utile du règlement Dublin sur la directive retour, au motif qu’il s’agit là d’une lex specialis dont les garanties spécifiques doivent être respectées. Il suit, en cela, la jurisprudence de la Cour de cassation, qu’il affine en se prononçant sur la situation spécifique de l’étranger qui n’a pas introduit de demande d’asile en Belgique et dont la demande d’asile a été rejetée par l’État membre responsable.

C.J.U.E., 6 septembre 2017, République Slovaque et Hongrie c. Conseil, aff. jointes C-643/15 et C-647/15. Relocalisation des demandeurs d’asile. La Cour de justice confrontée à l’identité nationale.

Saisie par la Hongrie et par la Slovaquie, soutenues par la Pologne, d’un recours en annulation à l’encontre de la décision du Conseil prévoyant la relocalisation de 120 000 demandeurs d’asile de la Grèce et de l’Italie vers les autres Etats membres, la Cour de justice en confirme la légalité. Par un arrêt fleuve, elle apporte une réponse systématique aux critiques tant institutionnelles et procédurales que de fond. L’arrêt prononcé se veut plus technique que de principe. La Cour place l’emphase sur le caractère marginal de son contrôle, tant en ce qui concerne les mesures adoptées par le Conseil que la procédure suivie. Il n’en résulte pas moins un désaveu, sur le plan juridique, du positionnement politique du groupe de Visegrad, viscéralement opposé à la relocalisation de demandeurs d’asile au nom d’une certaine conception de l’identité nationale.

Cour eur. D.H., 4 avril 2017, Thimothawes c. Belgique, req. n° 29061/11. Rétention des demandeurs d’asile. De la subsidiarité et des imprécisions du contrôle strasbourgeois.

Par l’arrêt Thimothawes c. Belgique, la Cour européenne des droits de l’homme conclut que la rétention d’un demandeur d’asile atteint de troubles psychologiques n’a pas violé l’article 5 de la Convention. Pour aboutir à cette conclusion, la Cour se réfère au contrôle de proportionnalité exercé par les juridictions nationales ainsi qu’au suivi psychologique réalisé dans le centre fermé. En particulier, elle juge qu’en ayant égard à la situation individuelle du requérant, les juridictions nationales ont remédié au caractère apparemment automatique de la décision de privation de liberté adoptée par l’administration.

C.J.U.E., 7 mars 2017, X. et X., aff. C-638/16 PPU, EU:C:2017:173. Délivrer un visa humanitaire visant à obtenir une protection : X. et X., ou quand le silence est signe de faiblesseinternationale au titre de l’asile ne relève pas du droit de l’Union.

Le droit de l’Union européenne n’impose pas aux États membres d’accorder un visa humanitaire aux personnes qui souhaitent se rendre sur leur territoire dans l’intention de demander l’asile. Ils demeurent libres de le faire sur la base de leur droit national.

Cour eur. D.H. (G.C.), 13 décembre 2016, Paposhvili c. Belgique, req. n° 41738/10. Expulsion d’étrangers gravement malades. Une clarification du seuil de gravité conventionnel couplée à une responsabilisation des autorités nationales.

Par l’arrêt Paposhvili, la Cour européenne des droits de l’homme juge que la Convention offre une protection contre le renvoi aux étrangers gravement malades, non seulement lorsque leur maladie a atteint un stade critique, mais également lorsque leur renvoi impliquerait un « déclin grave, rapide et irréversible » de leur état de santé, ce qu’il revient en priorité aux autorités nationales de déterminer à l’aide de procédures adéquates.

C.C.E. (assemblée générale), 8 décembre 2016, n° 179108. Visa humanitaire et recours en suspension d’extrême urgence. Le Conseil du contentieux des étrangers interroge la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de l’Union européenne.

Par l’arrêt n° 179.108 du 8 décembre 2016, l’assemblée générale du Conseil du contentieux des étrangers adresse des questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle et à la Cour de justice de l’Union européenne. L’assemblée générale souhaite obtenir, de la part de la Cour constitutionnelle, une clarification de l’étendue des compétences du Conseil en tant que juge de la suspension : ses compétences correspondent-elles à celles dont il bénéficie en tant que juge de l’annulation, de sorte qu’il peut ordonner la suspension de toute décision individuelle adoptée en application de la législation relative au séjour des étrangers, ou sont-elles limitées aux seules décisions d’éloignement ? L’assemblée générale souhaite également obtenir, de la part de la Cour de justice de l’Union européenne, une clarification du cadre juridique européen applicable aux demandes de visas humanitaires : existe-t-il une obligation de délivrer un visa humanitaire dans certaines hypothèses, afin de prévenir une violation des droits fondamentaux ? En cas de réponse positive, quels sont les pourtours de pareille obligation ? Ce faisant, l’assemblée générale espère asseoir la légitimité du Conseil du contentieux des étrangers, vivement remise en cause auprès du grand public suite à la polémique générée par la condamnation de l’Etat belge à délivrer un visa humanitaire à une famille originaire d’Alep, en obtenant une confirmation de l’étendue de ses compétences et en prévenant toute controverse future due au manque de clarté du cadre juridique européen applicable.