Cour eur. D.H. (GC), 7 décembre 2021, Savran c. Danemark, req. n°57467/15  – L’éloignement d’un étranger atteint d’une maladie mentale grave n’engendre pas un risque de traitements contraires à l’article 3 mais viole son droit à la vie privée : un arrêt en demi-teinte, reflet d’une Cour partagée.

La Cour européenne des droits de l’homme, réunie en Grande Chambre, se penche sur la conformité aux articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme d’une mesure d’éloignement, assortie d’une interdiction définitive d’entrée, prise à l’égard d’un ressortissant turc par les autorités danoises. Celui-ci, atteint de schizophrénie paranoïde, a résidé au Danemark la plus grande partie de sa vie. La Cour juge cet éloignement conforme à l’article 3 de la Convention. Elle estime que le seuil de gravité requis pour faire application de cette disposition n’est pas atteint en l’espèce. Elle conclut, par contre, à une violation de l’article 8 de la Convention. Elle juge le renvoi du requérant contraire à son droit à la vie privée, les juridictions internes n’ayant pas pris en compte tous les éléments nécessaires à évaluer la proportionnalité des mesures prises à son égard. Elle estime, notamment, qu’il n’a pas été attaché suffisamment d’importance, dans le cadre de cet examen, à l’état de santé mentale du requérant.

TPI, Bruxelles, 4e ch., 2 juillet 2021, RG n°20/777/A – La Cour constitutionnelle interrogée sur la constitutionnalité des règles applicables au contrôle de la détention administrative de l’étranger.

La décision commentée statue sur une action en responsabilité intentée à l’égard de l’État belge par un étranger privé de liberté. Celui-ci dénonçait divers manquements des autorités administratives et juridictions belges dans le cadre du contrôle de sa détention administrative. Il critiquait notamment l’interprétation opérée par la Cour de cassation des délais applicables au pourvoi. Il interrogeait la conformité de cette interprétation avec les principes d’égalité et de non-discrimination en ce qu’elle crée une différence de traitement injustifiée entre un justiciable privé de liberté dans le cadre d’une détention préventive et un étranger en séjour illégal privé de liberté dans le cadre d’une détention administrative. Il remettait par ailleurs en cause les effets attachés au réquisitoire de réécrou. Il faisait notamment grief à la Cour de cassation de ne pas avoir respecté le droit à un recours effectif en déclarant le pourvoi sans objet à la suite de la prise d’une nouvelle décision privative de liberté. Il sollicitait avant-dire droit d’interpeller par voie de questions préjudicielles la Cour Constitutionnelle, demande à laquelle le tribunal fait droit.

Cour eur. D.H., 8 décembre 2020, M.M. c. Suisse, req. n° 59006/18 – Quand l’ordre public prime sur le droit à la vie privée d’un étranger à éloigner : l’arrêt M.M. c. Suisse, une petite pierre qui élargit et complexifie encore l’édifice.

La Cour européenne des droits de l’homme était saisie de la conformité d’une mesure d’expulsion prise par les autorités suisses à l’égard d’un ressortissant espagnol né et résidant en Suisse depuis sa naissance. L’intéressé avait été condamné à douze mois d’emprisonnement avec sursis pour des actes à caractère sexuel commis sur mineurs. Il invoquait la violation de l’article 8 CEDH estimant que la mesure prise à son égard portait atteinte à sa vie privée dès lors qu’elle ne poursuivait pas un but légitime et n’était pas nécessaire dans une société démocratique.  La Cour constatant que les juridictions nationales ont effectué un examen sérieux de la situation personnelle du requérant et des différents intérêts en jeu conclut à la non-violation de l’article 8.

Cour eur. D.H., 25 juin 2020, Ghoumid et autres contre France, req. n° 52273/16 et 4 autres – Déchéance de nationalité : une restriction des droits validée au nom de la lutte contre le terrorisme.

La Cour, aux termes d’une décision prise à l’unanimité, rejette les recours introduits par cinq individus déchus de la nationalité française à la suite de leur condamnation pour des faits de terrorisme. Elle reconnaît qu’une déchéance de nationalité peut dans certaines circonstances poser un problème au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en raison de son impact sur la vie privée de son destinataire. Elle juge toutefois, en l’espèce, ces décisions conformes aux exigences tirées de cette disposition dès lors qu’elles ne sont pas entachées d’arbitraire et qu’elles n’ont pas eu des conséquences disproportionnées sur la vie privée de leurs destinataires. La Cour, interrogée, par ailleurs, sur la conformité de ces mesures avec l’article 4 du Protocole n°7 à la CEDH consacrant le droit à ne pas être poursuivi ou jugé deux fois pour la même infraction, estime cette disposition inapplicable en l’espèce, la déchéance de nationalité prévue par l’article 25 du code civil français n’étant, à son estime, pas constitutive d’une punition à caractère pénal.

Cass, 2e ch., 6 mai 2020, P.20.0445.F – Les règles régissant le contrôle judiciaire d’une mesure privative de liberté à l’épreuve du contexte de pandémie.

La Cour de cassation rejette le pourvoi intenté contre une décision de la chambre des mises en accusation réformant une décision de libération rendue par la chambre du conseil compte tenu de l’absence de possibilité d’éloigner l’étranger dans un délai raisonnable dans le contexte de pandémie. Elle valide le raisonnement des juges d’appel qui effectuaient un examen de la légalité de la décision au regard des circonstances prévalant au moment de la prise de décision par l’autorité administrative, soit avant la prise des mesures de confinement. Elle souscrit par ailleurs au raisonnement selon lequel aucune illégalité ne saurait se déduire du seul fait que l’autorité administrative impose à l’intéressé une mesure de détention prévue par la loi alors que d’autres mesures moins contraignantes pourraient être prises.

Corr. Bxl (Ch. Cons.), 26 avril 2019, inédit – Le principe de l’inviolabilité du domicile : limite effective à l’exécution d’une mesure de privation de liberté d’un étranger à éloigner ?

La chambre du conseil de Bruxelles est appelée à statuer sur une requête de mise en liberté déposée par un étranger détenu sur la base d’un ordre de quitter le territoire avec maintien en vue de l’éloignement. Elle constate qu’il lui est impossible de vérifier, vu les déclarations contradictoires déposées au dossier, que cette interpellation a été effectuée dans le respect du principe de l’inviolabilité du domicile. Elle considère dès lors que la régularité de l’interpellation n’est pas établie, et ordonne la remise en liberté de l’intéressé.

Cour Constitutionnelle, arrêts n°111 et 112/2019 du 18 juillet 2019 – Retrait du droit au séjour et éloignement pour motifs d’ordre public : les lois du 24 février 2017 et du 15 mars 2017 validées, sous réserve d’interprétations, par la Cour Constitutionnelle.

La Cour Constitutionnelle rejette, pour l’essentiel, les recours introduits contre la loi du 24 février 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l’ordre public et de la sécurité nationale ainsi que loi du 15 mars 2017 modifiant l’article 39/79 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.  L’arrêt offre toutefois quelques précieuses précisions sur le champ d’application de ces dispositions.

Cons. Const. (France), décision n° 2018-717/718 Q.P.C. du 6 juillet 2018. Le délit de solidarité jugé contraire au principe de fraternité.

Le Conseil constitutionnel français consacre la valeur constitutionnelle du principe de fraternité. Il précise qu’il résulte de ce principe la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. Il juge l’incrimination de l’aide à la circulation irrégulière, y compris si elle constitue l’accessoire de l’aide au séjour de l’étranger et si elle est motivée par un but humanitaire, contraire aux exigences découlant du principe de fraternité. Enfin, il précise que ce principe exige que toute acte d’aide au séjour irrégulier ou à la circulation irrégulière, posé dans un but humanitaire, bénéficie d’une immunité pénale.

Cass., 27 décembre 2017, n° P.17.1244.F/1. La Cour de Cassation ne valide pas la détention systématique des demandeurs d’asile aux frontières.

La Cour de cassation précise qu’un étranger ayant introduit une demande d’asile à la frontière ne peut être détenu par application de l’article 74-5, §1er de la loi du 15 décembre 1980 qu’à la condition que l’administration se soit livrée à une appréciation individualisée de sa situation, démontrant la nécessité de la mesure de maintien en un lieu déterminé dont il fait l’objet. En décidant du contraire, la Chambre des mises en accusation n’a pas légalement motivé sa décision.

C.C.E., 8 décembre 2017, n° 196 353. L’éloignement d’un citoyen de l’Union de seconde génération : un retour en arrière entouré de « garanties » suffisantes contre l’arbitraire ?

Le Conseil du contentieux des étrangers s’est prononcé en chambres réunies sur la légalité d’une décision mettant fin au séjour d’un citoyen de l’Union européenne, ressortissant français, né et ayant toujours vécu en Belgique. Il juge cette décision conforme aux articles 44bis, 45 et 62 de la loi du 15 décembre 1980 ainsi qu’à l’article 8 CEDH dès lors qu’elle fait apparaître l’exceptionnelle gravité de la menace que représente le requérant pour la sécurité nationale et se fonde sur un examen individuel procédant à une mise en balance valable des intérêts en présence.